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durent point par une force intérieure, par une présence spontanée de la vie. « Je ne suis pas des fanatiques de la Vie », a dit M. Maurras, qui, seul peut-être entre les écrivains de son temps, n’a jamais orné ce mot d’une majuscule. Ils durent par un moyen humain, et, comme dirait Montaigne un moyen « artiste » : l’institution. « Rien n’est possible sans la réforme intellectuelle de quelques-uns. Mais ce petit nombre d’élus, ces favorisés, fussent-ils les plus sages et les plus puissants, ne sont que des vivants destinés à mourir un jour : eux, leurs actes et leurs exemples, ne feront jamais qu’un moment dans la vie de leur race, leur éclair bienfaisant n’entr’ouvrira la nuit que pour la refermer s’ils n’essayent de concentrer en des institutions un peu moins éphémères qu’eux le battement furtif de la minute heureuse qu’ils auront appelée sagesse, mérite ou vertu. Seule l’institution durable à l’infini, fait durer le meilleur de nous. Par elle, l’homme s’éternise, son acte bon se continue… Un beau mouvement se répète, se propage, et renaît ainsi indéfiniment[1]. » Le nom et la réalité de Rome signifient pour M. Maurras l’institution dans l’ordre religieux, le nom et la réalité de la France signifient l’institution dans l’ordre esthétique et l’institution dans l’ordre politique. Ces trois formes de l’institution, aux moments où elles s’établissent, où elles s’épanouissent, où elles se relâchent et où elles se dissolvent, il les a étudiées avec une grande vigueur, il a tenté de les saisir dans leur problème central, et c’est là particulièrement qu’il a creusé dans son époque un grand sillon d’intelligence.

VIII
L’ORDRE CATHOLIQUE

La pleine et fervente adhésion de M. Maurras au génie de Rome n’a pas été immédiate et sans réserve. Considérant tous les biens que Rome prenait dans sa barque pour leur faire passer le fleuve du temps, tous les Penates que son Enée arrachait à la destruction pour les

  1. L’Avenir de l’Intelligence, p. 16.