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religieux, est celle où s’échangent ces grands courants aériens, où l’esprit parle à l’esprit, où les dieux se visitent encore.

Ces méditations sur les sources hautes et sur les fleuves éthérés du pouvoir spirituel aboutissent, dans l’ordre de l’action, à une tentative limitée, mais qui suffit à occuper noblement, comme c’est le cas pour M. Maurras, une vie humaine : « Toute tentative dans l’ordre politique sera consécutive à l’organisation d’un pouvoir spirituel royaliste. Constituer cette très haute autorité scientifique, en rassembler les éléments, les proposer à tous les Français réfléchis, voilà quelle est ma tâche… Nous aurons vécu notre vie, nous aurons accompli notre naturelle fonction[1]. » La haute autorité scientifique qu’il s’est proposée d’acquérir porte non sur des détails, mais sur les principes généraux de la politique, sur ce général qui est, seul, « spécial à tout ». Ses principes établis sous une forme ne varietur, constitués comme un édifice bien maçonné de dogmes, il s’est occupé de leur créer un assentiment, un public, et il y a réussi. Quelle que soit la valeur des idées de M. Maurras, ces idées sont devenues le lien d’un véritable pouvoir spirituel, au sens exact et complet du mot, et le cas est unique aujourd’hui. Un pouvoir spirituel n’est tel en effet que s’il constitue un pouvoir, s’il rallie des hommes pour une action, s’il forme autour de lui une Cité des esprits bien spécifiée, bien délimitée, si cette Cité des esprits, soumise à un gouvernement, à un Credo (et c’est le cas des royalistes d’Action Française) tire de là tous les bienfaits d’une discipline spirituelle, image idéalisée des bienfaits de cette discipline temporelle qu’elle réclame dans l’État. On comprend l’admiration de M. Maurras pour l’édifice catholique, qui est le macrocosme de l’édifice spirituel qu’il a construit. Il pourrait (j’y change un seul mot, le dernier) s’appliquer à lui-même ce qu’il écrit du pouvoir pontifical : « D’une source faite de pensées et de sentiments sans mélange, substance sœur de la méditation des sages et de la vertu des héros, jaillissent à longs flots tous les éléments nécessaires à la réparation de la vie nationale. » Ajoutons que ce pouvoir spirituel se formulerait volontiers par un Syllabus analogue à l’autre dont M. Maurras a écrit l’Apologie, et qu’il comporte, comme l’autre, et le recours à la force que doit lui prêter le pouvoir temporel intronisé et défendu par lui, et l’appel au bras séculier. « Toute idée vive enferme, en puissance, du sang. Mais entre l’idée du Libéralisme et celle du Syllabus, il y a exactement la même différence

  1. Enquête, p, 184.