Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sera du XVIIe contre le XVIIIe, leur opposition jouant en littérature aussi profondément que l’opposition droite et gauche en politique. Cela descendra de la conversion de La Harpe, et se terminera, chose curieuse, par une autre conversion, celle de Brunetière.

Critique de la chaire, disons-nous. Elle est fondée avant Geoffroy par le conférencier du Lycée. Les fils et les filles de ses auditrices se presseront trente ans après aux cours de Cousin, de Villemain, de Guizot, qui réussiront par les mêmes qualités d’orateur que La Harpe. Car ce petit homme, que l’épigramme de Le Brun nous peint trottant burlesquement au bas du Pinde, dès qu’il était en chaire donnait ses leçons et lisait ses citations en acteur, évoquait le débit de Lekain et de Clairon, imposait la littérature à ses auditeurs, comme une puissance physique. Le fanatisme anti-révolutionnaire et anti-philosophique nourrit encore cette éloquence. La critique est ici à la source d’un fleuve oratoire qui se terminera en Brunetière.

La lecture suivie du Lycée est aujourd’hui impossible. Mais il a sa place — avec les jolies reliures dont on s’habillait au début du XIXe siècle — sur un rayon de bibliothèque d’où l’on en tire parfois un volume : un des premiers volumes pour s’amuser, et pour dire avec Flaubert : « Etait-ce couenne, l’antiquité de ces gens-là ! », — ou un volume sur Racine ou même sur Voltaire, qui nous aide à comprendre excellement et minutieusement ce qu’était la tragédie, un peu pour ceux qui l’avaient créée, mais surtout pour ceux qui en fabriquaient, et pour le public qui en écoutait inlassablement ; — ou un des volumes sur le XVIIIe siècle, de préférence sur les petits auteurs, qui nous évoquent avec précision, comme Bachaumont ou Grimm, les lois, les idées, les mœurs littéraires d’un temps que nous ne voyons plus que par masses lointaines et à travers une durée interposée.

Les vrais Créateurs.
Les autres critiques du Consulat et de l’Empire, dont l’un au moins, Hoffmann, est très estimable, doivent être négligés ici. Mais il faut rappeler que les deux livres capitaux qui inaugurent le siècle, en 1800 la Littérature de Mme de Staël, en 1802, le Génie du Christianisme, renouvellent non le métier vulgaire de