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le théâtre pur, du moins le théâtre-théâtre. Scribe et Sardou ont été les plus célèbres. À vrai dire il leur manquait d’être, en même temps qu’auteurs, acteurs et directeurs comme Picard (n’allons pas plus haut) et de jouer leurs propres pièces. Il leur manquait aussi certaine communion avec la salle, avec Paris, certaines traces heureuses du déclassement, ou plutôt de l’in-classement où ont vécu jusqu’au XIXe siècle les gens de théâtre. Tous deux par exemple ont été tout naturellement de l’Académie, alors que l’Autre n’en pouvait être et qu’aucun de ses contemporains ne posa même la question qu’il en fût. Mais à l’Autre même, il manquait encore quelque chose, cela qui manquait aussi à Napoléon. L’Autre était le théâtre, mais n’était pas né au théâtre. Il avait été élevé pour devenir tapissier du roi. Il ne possédait pas le théâtre en héritage et dès sa conception. « Si seulement j’étais mon fils… » disait Napoléon. Aucun de ces obstacles qui n’ait été levé pour Sacha Guitry, incarnation pure et exclusive, à la scène et dans la salle, au théâtre et à la ville, en âme et en corps, du théâtre-théâtre 1935. Aussi le choisirons-nous pour exemple, de préférence à tel autre excellent homme de théâtre comme Jean Sarment.

Le nombre de ses pièces dépasse la centaine. La magie personnelle de l’acteur-auteur leur vaut généralement autant de faveur dans leur nouveauté que d’oubli quand elles sont retombées à l’état de texte imprimé. Il ne semble pas à vrai dire qu’il doive en rester une pièce de répertoire. Il en restera peut-être mieux : d’abord une certaine chronique au jour le jour de la sensibilité parisienne pendant une trentaine d’années, ce qu’on trouve par exemple dans les anciennes années de la Vie parisienne, et puis l’histoire sentimentale ou plutôt les petites histoires sentimentales de l’auteur-acteur qui naissent, vivent et meurent à l’état théâtral.

Le cas de Marcel Pagnol est très différent, mais ressortit également au théâtre-théâtre. Son don du théâtre semble avoir été restreint (à la manière de celui de Becque) à deux sujets qu’il portait avec lui, comme Piron portait la Métromanie, et qu’il avait vécus personnellement : d’abord, la destinée d’un maître d’études qui arrive, d’un Petit Chose qui devient un Monsieur Quelqu’un : ce fut Topaze. Et chez ce Mar-