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duire que sous les espèces de la farce poétique le cocuage, pain rigoureusement quotidien du vaudeville d’il y a soixante ans.

Ne concluons pas trop vite à l’amoralité du théâtre contemporain. Le public, plus mêlé, plus passif, plus amorphe, accepte aujourd’hui des situations qu’il n’acceptait pas du temps où il y avait une société. Mais il accepte pareillement d’être ému par le moyen des formes et des fibres (sinon des ficelles) éternelles. La Souriante Madame Beudet de Denys Amiel et André Obey, le Michel Auclair de Charles Vildrac après le Paquebot Tenacity, ont connu après guerre un succès dont aucun élément n’était demandé aux « mœurs » dans le sens cette fois où les mœurs c’est la mode, ni aux figures passagères du couple.

Inquiétude du Théâtre.
Ce sont là des formes permanentes de la comédie. À côté d’elles il y a des problèmes dramatiques plus propres à cette génération.

Le théâtre vit de conquêtes. Il est impérialiste ou il n’est pas. Il cherche à prendre leur bien à des genres qui se défendent. Pendant trois générations, du romantisme à la guerre, le théâtre s’était efforcé de reculer sa borne du côté du poète et du côté du moraliste. Le drame romantique avait marqué sa plus grande transgression dans la poésie. La comédie et les préfaces de Dumas fils, sa plus grande transgression dans le domaine des moralistes. Ces deux questions se posaient encore avant la guerre. La transgression poétique avait eu de beaux jours avec Rostand, la tradition moraliste restait assez solidement représentée par Brieux. Avec des réussites inégales tout cela était la vie du théâtre.

Dans la mesure où quelque chose disparaît en littérature, voilà des problèmes disparus. Le théâtre cherche son bien ailleurs. Les problèmes actuels ne concernent plus les rapports du théâtre avec la poésie et avec le moralisme, mais avec la littérature et avec le cinéma.

Plus précisément on distinguerait trois versants du théâtre, selon que l’auteur est animé et inquiété par le théâtre seul, par le théâtre et les lettres, par le théâtre et le cinéma.

Le Théâtre seul.
À toutes les époques du XIXe siècle et du XXe siècle, il s’est trouvé un auteur dramatique considérable pour incarner ce qu’on pourrait appeler sinon