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IV
LA POÉSIE

Le sens du mouvement poétique reste à peu près pour la génération de 1914 le même qu’il avait été pour la génération de 1885 ; séparation de plus en plus radicale, de plus en plus extrémiste, entre le discours et la poésie. Il y a là, pour le demi-siècle qui nous sépare de 1885, une invincible pente, qui oppose cette période de la poésie française à tout son cours antérieur depuis le XVIe siècle.

Poésie et Discours.
La poésie alliée au discours appartient d’ailleurs tellement à la tradition séculaire française, qu’elle peut survivre presque indéfiniment sur une ligne d’évolution parallèle, ou sur une voie de garage. En 1914 précisément tout se passait comme si cette question du discours était encore posée. La poésie éloquente livrait ses derniers combats. Elle avait sa muse, Anna de Noailles, la dernière et même le dernier des romantiques, avec qui s’en sont allés, comme avec Jaurès, dont il lui eût plu qu’on la rapprochât, les grands lieux communs du XIXe siècle. La poésie éloquente arborait par ailleurs des noms d’écoles : humanisme de Fernand Gregh, intégralisme d’Adolphe Lacuzon, paroxysme de Nicolas Beauduin. Et rien ne nous interdirait formellement de réunir sous le nom de méridionalisme la poésie sonore, proclamatoire et oratoire — le Midi est éloquent — de Léo Larguier, Joachim Gasquet, de nombreux Aixois ou Toulousains.

Plus instructif sera le cas de l’unanimisme, c’est-à-dire du groupe des poètes de l’Abbaye qui ont trente ans ou un peu moins en 1914, Romains, Duhamel, Vildrac, Chennevière. Romains et Duhamel sont des esprits déversés vers le dehors,