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La période normalienne, inaugurée par la génération de 1850, et qui fut brillante, a pris fin à peu près en 1914. Non que normaliens et professeurs ne figurent pas honorablement dans le journalisme, mais c’est sans y rien représenter de la tradition et de la considération originelles. Ils sont dans le rang avec les autres journalistes. La profession de journaliste, les nécessités du journalisme, donnent seuls son ton et son courant à la critique des journaux.

Elle en subit, sur un point, un dommage. Elle a presque perdu ce qui faisait la fleur de la critique humaniste, la référence aux classiques, la solidarité avec la chaîne littéraire française. Une fonction et une tribune comme celles de Sainte-Beuve, maintenues par Taine, Scherer, Montégut, Brunetière, Lemaître, Faguet, sont devenues à peu près impossibles, et, s’il faut en croire les directeurs de journaux, ne trouveraient plus qu’un public précaire et décroissant. La critique actuelle a beaucoup mieux maintenu, de l’héritage de Taine, Scherer, Montégut, le contact avec les littératures étrangères, en particulier la littérature anglaise, suivie avec attention et discernement. Contrainte à sacrifier de plus en plus à l’information, à l’actualité, aux comptes-rendus, elle y apporte moins des décisions et des jugements que des qualités de moraliste et de psychologue. Ses qualités et ses défauts sont commandés par ce fait, qu’elle est devenue une province du journalisme et plus du tout une dépendance de la chaire.

La critique dramatique, dans une position plus difficile, est logée à la même enseigne. Elle ne peut conserver sa dignité, et compter, que par le feuilleton hebdomadaire, qui permet la réflexion et le choix. Les exigences de l’information journalière ont réduit à trois ou quatre le nombre des critiques dramatiques qui ont à leur disposition ce rez-de-chaussée traditionnel, et à moins encore ceux qui gardent la volonté d’y défendre la littérature.