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Leur fortune dans l’histoire littéraire dépendra de ce qui les aura suivies. Or ce Directoire n’a malheureusement pas été suivi d’un Consulat. Dès 1930 la déflation littéraire suit les autres déflations, et comme les autres elle signifie restriction. Les pessimistes parlent de grande pénitence littéraire. Durera-t-elle ?

La littérature peut fort bien être prise dans le cycle d’années, creuses où nous sommes entrés, ou plutôt rentrés. L’appel aux réserves, si fructueux hier, rencontrera de moins en moins d’écho. Ici encore une nécessité démographique intervient. La génération qui remplacera celle-ci est celle des adolescents que les vingt ans en 1914, leurs pères, envoient aujourd’hui à l’école et au collège, celle dont une partie a été supprimée il y a vingt ans, avant sa naissance, avec ses pères éventuels. Les bureaux de recrutement littéraire peuvent se préoccuper de cette situation au même titre que les bureaux de recrutement militaire.

De quelque côté que nous abordions la situation littéraire de la génération qui n’a pas fini son bail, nous retrouvons devant nous, sous une forme ou sous une autre, la crise de la durée. De la durée qui était liée à un minimum d’humanisme, soit de langage commun et d’étoffe traditionnelle. De la durée qui conserve à la manière d’une conscience, et qui sert d’amortisseur aux commencements absolus. De la durée vivante qui est solidarité avec le passé et confiance dans l’avenir. De la durée avec laquelle plus radicalement encore que nous, les jeunesses d’autres grandes nations ont rompu le pacte. Le journal et le cinéma, qui tendent à évincer la littérature proprement dite, c’est-à-dire le livre, impliquent des puissances d’oubli précisément autant que la littérature classique impliquait des puissances de mémoire. Mais par un point au moins, par un point toujours, par un point qui ménage l’espérance et l’avenir, la littérature conserve une attache avec la durée vivante, ordinaire, consciente, humaine, éternelle : celui-ci, qu’elle est imprévisible.