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grand public, le vibrant et brûlant Signoret, Quillard, Retté et, moins Parnassiens et plus intérieurs, Georges Rodenbach, poète méticuleux des Flandres, Charles Guérin, un maître de l’élégie, et même de l’épître.
Représentants.
Entendons par représentants officiels du symbolisme les poètes, qui, au XXe siècle, après la mort de Verlaine et Mallarmé, ont fait figure de chefs, ont été reconnus, à la manière de Gautier et de Vigny, pour les vétérans de l’école, ou du mouvement.

On couplait volontiers, vers 1900, les noms d’Henri de Régnier et de Viélé-Griffin, qui contribuèrent à populariser le vers libre. Régnier nous paraît la personnalité poétique la plus complète, la plus souple et la plus variée du mouvement symboliste. Avec un vocabulaire pauvre, de la monotonie dans les tours, de la nonchalance, du hasard ou du remplissage dans ses thèmes, il séduit profondément par sa musicalité continue, son don extraordinaire de rendre moelleuse et sensuelle la substance verbale. Un opportunisme intelligent, sans abdication ni concession, lui a permis de passer d’un gracieux vers libéré plutôt que libre aux plus belles et aux plus solides formes du sonnet et de la stance.

Si Régnier a traversé le vers libre en hôte courtois, Viélé-Griffin l’a absolument habité, en a guidé et suivi la fortune. Odelettes, croquis légers du printemps de Touraine, confidences d’amour, récits tendres et tranquilles se développent en nuances gracieuses qui, sous le temps, ont passé.

L’Héritage de Mallarmé.
C’est à l’authentique symbolisme qu’il faut rattacher l’œuvre et la carrière extraordinaire de Paul Valéry. Après Mallarmé il a conçu et pratiqué la poésie comme une série de reconnaissances, d’expériences, de jeux à tenter, d’obstacles à tourner. Jeux tentés d’abord sous des influences : Mallarmé, Léonard, puis, après un long silence, à partir de la Jeune Parque, d’une manière autonome et inventrice.

En Valéry un homme s’est rencontré, doué d’une double faculté, ou de deux manies, qui jusqu’ici passaient pour des contraires. Deux extrêmes en lui se touchent. D’une part, le don intégral de la poésie pure, qui est, sous plusieurs formes, la grande découverte du symbolisme. D’autre part un sens