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Le Vers libre.
Première révolution, et la plus grave : la liberté du vers. La question des origines du vers libre n’est pas compliquée. Il vient de la poésie populaire, qui, immémorialement, ne s’est pas astreinte à la rime, ni au décompte syllabique. Les premiers vers délibérément libres qui aient été imprimés l’ont été en 1873 dans Une Saison en Enfer, à l’imitation des chansons populaires. Origine analogue chez Laforgue. Mais, à côté de ce vers libre spontané, devait bientôt prospérer un vers libre réfléchi, avec une technique calculée, une dogmatique souvent arbitraire et absconse.: dans cet ordre, l’initiateur serait Gustave Kahn. Quoi qu’il en soit, la révolution du vers libre a changé la nature de l’instrument mis entre les mains de la moitié des poètes français, a fait passer une coupure entre les poètes « réguliers » et les poètes « vers-libristes ».
La Poésie pure.
Deuxième révolution : l’avènement d’une poésie pure en contact et en échange avec la musique. Le symbolisme, contemporain du départ de Hugo, l’est aussi de l’arrivée de Wagner, qui conquiert en quelques années le public français, et l’une des jeunes revues du symbolisme, en 1885, s’appela la Revue wagnérienne. La principale ambition du symbolisme fut, selon sa consigne donnée par Mallarmé, de « reprendre à la musique son bien », Et si l’on peut parler justement de réaction contre le Parnasse, c’est surtout en ce sens que l’ennemi poétique du symbolisme a été la précision sous toutes ses formes, entendons, comme en musique, la précision à fournir au lecteur ou à l’auditeur, non cette précision technique mise par l’auteur dans son travail, rigoureuse en musique, et que les théoriciens du vers libre ont poussée volontiers au pédantisme. Hérédia, qui essaye de suggérer à travers la précision de ses sonnets est encore goûté des symbolistes tandis que Sully-Prudhomme, dont la poésie a pour fin dernière la précision, et qui s’est efforcé de l’appliquer à la vie intérieure est tenu par le symbolisme pour l’ennemi intégral, au même titre que Coppée.
La Révolution.
Troisième révolution : l’idée même de révolution. Les révolutions romantique et parnassienne ont pour fin une conquête et une organisation,