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marché des jugements qui étaient discutables, mais qui savaient — c’était l’essentiel — se faire discuter. Il a écrit sur ces époques quatre ou cinq livres d’une critique qui est toujours vivante, en partie d’ailleurs parce qu’on a vécu contre elle. Lui-même a cru voir sa faculté maîtresse dans l’art des préparations, au sens anatomique : soit la présentation, la décomposition d’un auteur pour l’étude. Mais d’un auteur mort. Il faut se défier de la brochette intelligente d’idées en lesquelles il décompose un Calvin, un Rousseau, un Royer-Collard, un Tocqueville, un Proudhon. On n’imagine rien qui soit plus contraire que ces préparations anatomiques à l’histoire naturelle des esprits, telle que l’entendait Sainte-Beuve. Sa critique des contemporains n’a pas été retenue. Et le bavardage intempérant de ses dernières années, ses cinq cents lignes par jour de omni re scibili, ont rendu les lecteurs injustes pour les bons livres de sa belle maturité, ses idées vivantes sur les classiques et son œuvre solide de professeur.
Déclin
de la critique universitaire
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Après 1914, cette génération normalienne, ou plutôt ces deux-générations n’ont pas été remplacées. Faut-il en accuser les réformes de 1902, qui ont changé le caractère de l’École Normale traditionnelle ? Une part utile, même brillante, de la critique, a été faite longtemps par les professeurs de rhétorique de Paris, dont René Doumic est resté un bon témoin. Mais la rhétorique disparaît du vocabulaire scolaire en 1902, et en même temps qu’elle tout un ordre avec lequel elle était en liaison. Surtout, on est entré au XXe siècle dans une crise de l’humanisme. Les valeurs et les habitudes de jugement appuyées sur les disciplines classiques, adossées plus ou moins à la chaire universitaire, éclairées, comme d’une lampe à l’huile, par les douces lumières de la culture et du goût, ont été effarouchées et bousculées de plusieurs côtés : histoire littéraire, critique des essayistes et des moralistes, retour des valeurs religieuses, nécessités et habitudes du journalisme, esprit de révolution.
Histoire littéraire.
L’histoire littéraire a toujours eu partie liée avec la critique littéraire, le principal monument de Sainte-Beuve est une œuvre d’histoire littéraire, Port-Royal. Et Brunetière a été à l’École Normale