Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaire, et tableau qui devient très intéressant dès qu’on y voit le signe de la mésentente nécessaire des deux rives : il serait tellement dommage qu’il n’y eût qu’un Paris !

On est devenu assez injuste en France pour Jean-Christophe, aujourd’hui délaissé, en partie parce que l’œuvre littéraire considérable qui a suivi (Colas Breugnon, l’Âme enchantée) a déçu — en partie parce que la signification du nom de Rolland comme « intellectuel » a rejeté dans l’ombre sa signification de romancier, — en partie enfin parce que d’autres romans-cycles l’ont obscurci. Mais enfin il a été le premier, et, qualités, défauts et rive gauche, on retrouvera quelque chose de Jean-Christophe dans l’autre cycle qui a pris sa source rue d’Ulm, le fleuve en cours des Hommes de Bonne Volonté.

C’est à cette rue de la rive gauche qu’il faut rattacher, au moins par l’un d’entre eux, Jérôme, l’œuvre des Tharaud.. À l’opposé du flux oratoire de Rolland, les Tharaud sont des techniciens lucides qui ne laissent rien au hasard, qui manquent d’invention mais organisent admirablement la matière que les inventeurs (ils courent les rues) leur apportent, et pourraient s’appeler les maîtres du produit fini. Et voilà bien un acquis normalien. Leur trilogie juive carpathique, l’Ombre de la Croix, Un Royaume de Dieu, la Rose de Sâron, est un chef-d’œuvre d’évocation, de narration et de rendu.

Le roman régional s’est accru naturellement, après 1885, du roman colonial. Ici encore, il y aurait lieu à une carte ou plutôt à un planisphère littéraire où ne seraient point seuls Robert Randau pour l’Afrique du Nord, Marius-Ary Leblond pour l’Océan Indien, Jean Ajalbert pour l’Indo-Chine et, pour tout ce qui dépend du ministère des Colonies, Pierre Mille, père de Barnavaux.