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man, c’est le tableau de la vie humaine, et toute vie est une vie humaine, peut être mise en tableau. Villemessant prétendait que tout le monde a son article dans le ventre, même un ramoneur. Tout le monde a aussi son roman dans le ventre.

Le sujet naturel du roman réaliste sera la réalité populaire ou bourgeoise, qui rendent d’ailleurs plus, tant en émotion qu’en ridicules, que les classes dites dirigeantes. « Les mœurs de la famille, dit Champfleury, les maladies de l’esprit, la peinture du monde, les curiosités de la rue, les scènes de la campagne, l’observation des passions, appartiennent également au réalisme. » Pour Champfleury le livre qui vient du peuple va au peuple, et voilà la littérature. « Le public du livre à vingt sous, c’est le vrai public. » Au contraire, les réalistes qui exigent et poursuivent le style, et qui ont des rentes, en outre, Flaubert et les Goncourt, écriront pour l’élite.

Enfin le roman réaliste, c’est le roman moderne, qui rejette le traditionnel et l’antique, se réclame carrément et exclusivement d’aujourd’hui. Le moderne devient un système complet, exclusif, comme la raison chez les classiques, ou le truculent chez les bousingots. Le mot de modernisme, créé par les Goncourt, est de grande conséquence. On remarquera cependant que si les Goncourt nomment le modernisme, ces bourgeois cultivés n’en possèdent pas moins une tradition qui les tourne à leurs heures contre le moderne, et qui les constitue à l’état d’émigrés de cette république : les Goncourt dans leur XVIIIe siècle, comme Flaubert à Carthage, ont besoin de leur saison thermale, antimoderne. C’est d’ailleurs par la grande personnalité de Flaubert que se posent tous ces problèmes, avec un retentissement et une ampleur qu’ils ne comportent pas chez ses contemporains.