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effet, Napoléon. Il léguera la consigne : « Être le Napoléon de quelque chose. » Le fils du général Hugo, adolescent, écrira sur un de ses cahiers : « Je veux être Chateaubriand ou rien ».

Les Vocations.
On discute encore sur les immenses desseins de Napoléon. Ceux de son contemporain de lettres n’ont pas été davantage sahs échecs ni mécomptes, encore moins sans impérialisme. Mais ils apparaissent avec une clarté suffisante. Il en eut trois, qui aidèrent à vivre ce Breton imaginatif et dont un seul est littéraire. Les deux autres nous aident à classer celui-ci et l’encadrent.
Le fils de la Mer.
Le premier grand dessein du Malouin fut, comme il convenait à sa race un dessein de marin. Il est fils de marin, même de corsaire, et la mer va entrer par lui dans la littérature. Il imaginera d’aller en Amérique, d’y découvrir le passage du Nord-Ouest, de devenir une manière de Magellan polaire qui en passant à travers les glaces réunirait dans sa navigation l’Atlantique au Pacifique. Idée de collégien. Le grand-père de sa belle-sœur est M. de Malesherbes. Il en obtient un paquet de cartes de la marine. Voilà l’enfant amoureux de cartes et d’estampes, à l’heure du poète, celle où le monde est grand à la clarté des lampes. Il ne découvre pas plus le passage du Nord-Ouest que Colomb n’avait découvert les Indes. Mais comme Colomb il découvre l’Amérique. Il en rapporte une idée du pittoresque, de même qu’un autre vicomte, un autre parent de M. de Malesherbes, M. de Tocqueville, en rapportera une idée de la démocratie. Le paquet de 2383 pages in-folio qui auront été, s’il faut l’en croire, son butin d’Amérique, voilà le grand dessein, qui, arrêté dès l’arrivée au Nouveau-Monde, a rejailli en écume littéraire. Ne croyons pas d’ailleurs que la littérature ait jamais été absente de ce dessein : « Tu devrais peindre tout cela », disait à René sa sœur Lucile quand ils s’exaltaient ensemble à Combourg devant l’étang, la lande et la forêt. En même temps que des cartes pour le grand dessein, il emporta en Amérique beaucoup de papier pour le raconter, et, à défaut du journal de l’homme qui le réalise, il écrira le journal de l’homme qui ne le réalise pas.