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esprit de panorama et de synthèse ? Un éditeur intelligent, qui ne s’y trompe pas, propose à Chateaubriand d’écrire une sorte de Génie de la France incarné dans ses provinces. Le projet n’aboutit point, et c’est bien dommage. Quel livre mieux que ce Tableau de la France, ce Génie de la France eût convenu en 1803 à Chateaubriand ? Certainement ce nouveau Génie ne se fût pas démodé comme les Martyrs et même l’Itinéraire. Le sens historique et descriptif de Chateaubriand, son mouvement propre, à phrases matérielles et à considérations aérées, y eût trouvé son champ. À défaut du grand architecte, des praticiens plus modestes se mettent à l’œuvre. Millin part en 1804 pour une tournée de ce genre. Le Voyage dans les Départements du Midi de la France dont les cinq volumes commencent à paraître en 1807, tient encore une place honorable dans une bonne bibliothèque. Du Musée des Monuments français que Lenoir, non content de le réunir à Paris, fait connaître par des livres somptueux, Michelet dira : « C’est là et nulle autre part que j’ai reçu d’abord la vive impression de l’histoire ».
Histoire-discours
et Histoire-chronique
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C’est en effet sous la forme de l’histoire que cet esprit et cette entreprise de l’inventaire français entrent dans la littérature. Avant de porter les œuvres célèbres de la génération de 1820, ils sont préparés avec intelligence par les historiens des vingt premières années du siècle. Avec eux s’amorcent deux carrières de l’histoire.

D’abord, devant les changements extraordinaires qui en quinze ans ont bouleversé la France, le public exige une explication, une liaison, et, pour employer le mot alors en usage, des Considérations. Comme la guerre de 1914, la Révolution est suivie immédiatement, et dès son origine la littérature de l’émigration l’accompagnait déjà, d’une vue historique. En 1801 Lacretelle aîné, qui enseignera l’histoire à la Sorbonne, commence un Précis historique de la Révolution. La liaison de la monarchie de Richelieu et de Louis XIV à la centralisation jacobine et napoléonienne est faite judicieusement en 1818 par Lemontey dans l’Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV.

En second lieu, la renaissance du Moyen âge, qui rappelle