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sources, son monde intérieur ; elle sonne le creux. Si la valeur d’un grand artiste se mesure au monde original qu’il ajoute en supplément au monde réel ou qu’il met en concurrence avec lui, nous avons bientôt fait le tour du monde sandien. Elle n’a pas laissé de « message » et nous ne rêvons pas sur elle.
Le document romantique.
Et pourtant peu de romanciers ont Jeté dans leur œuvre plus d’autobiographie étalée ou transposée. Toutes ses amours se sont achevées par des romans, c’est-à-dire ont levé en littérature. Non une littérature factice. Lélia, Indiana, peuvent à vrai dire passer pour les substituts écrits, la chaleur littéraire, d’un tempérament froid (fortune qui n’est pas rare en littérature). Mais, sous cette réserve, ou avec cet achèvement, on y sent toujours le feu de passion qui a soulevé, fait couler ces laves en une prose régulière, harmonieuse et intarissable. Elle a exagéré, et nulle part mieux que dans le roman d’amour ne se vérifie le mot de Talleyrand : « Ce qui est exagéré ne compte pas ». Nous avons laissé pour compte au romantisme l’exagération de ces premiers romans. Quand elle écrit (comme Gautier ses Jeunes-France) un roman-parodie de l’amour romantique, avec Cora, cela pourrait être curieux. Malheureusement George Sand manque d’esprit : elle est sérieuse, tragique, ou elle n’est pas.

Mais de tous les grands romanciers de ce temps, elle est celle qui ressemble le plus aux grands poètes romantiques. La puissance poétique d’Indiana éclate comme la puissancè poétique de Notre-Dame de Paris. Le roman n’est pas seulement tropical par l’évocation des pays où il s’achève, tropical par l’excès de la passion éperdue qui y coule, il est tropical par la température de sa poésie. Il ne faut pas oublier à quel point les années 1830 à 1840 sont chargées de lyrisme : les romans de George Sand font leur partie, aussi bien que l’Ahasvérus de Quinet par exemple, dans ce paysage de végétation poétique exubérante.

Le don technique.
George Sand ne fait pas seulement couler la poésie dans le roman, elle bâtit en vrais et solides romans son inspiration de poète, son ardeur de femme insatisfaite, ses déclamations contre le lien conjugal, ses interpellations à la société. Tout ce qu’Ovide