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prit de société, n’admet moins le monologue dans la rue, dans le livre, au théâtre. Le même paradoxe qui a fait de Napoléon un empereur français a fait se tenir en français le monologue hugolien, a préposé Napoléon et Hugo à la plus grande extension, à la plus grande transgression d’une force française. Ils nous ont été donnés bien plus que nous ne les avons produits : durs à absorber, à digérer. C’est cette difficulté de digestion que Lamartine, dans le discours sur le Retour des Cendres, indiquait en prophète au Français moyen du Juste Milieu. Le Retour des Cendres avait lieu vingt-cinq ans après le départ du vivant et huit ans avant le retour de l’héritier. Il posait comme l’indiquait Lamartine, une présence redoutable de Napoléon. Mais s’il y avait en 1840 en France un napoléonisme latent et couvé, y avait-il, y aura-t-il jamais un hugolisme littéraire français ? Hugo dès 1843, n’avait-il pas été, littérairement, installé dans une fonction de Hugo seul ? À partir de 1852 l’exil ne l’avait-il pas entouré de la nuée visible de cette solitude, et des signes éclatants du monologue ? Ne l’avait-il pas diminué en tant que présence, en donnant un piédestal à sa situation ? La fin de l’influence, la tension et la permanence du monologue, les scrupules de cette sociabilité qui forme le secret séculaire et le liant de la littérature française, ont donc diminué de plus en plus la présence. La situation reste indestructible, monumentale.

Le Poète monumental.
Monumental à la manière du monument propre de Napoléon : l’Arc de Triomphe. L’Arc est un monument artificiellement tendu, sans précédent dans la tradition architecturale de la France, sans rapport avec la taille, la réalité de l’homme, et contre lequel Viollet-le-Duc a écrit une page impitoyable. Et pourtant il existe, il est un ancêtre, il est incorporé à Paris, aussi bien que la Notre-Dame à laquelle l’immole Viollet-le-Duc. Victor Hugo s’est fait son poète dès l’ode de 1823, avec l’épigraphe prophétique Non déficit alter, puis par celle de 1837. Il a fini par s’imposer à lui après lui avoir imposé le nom de son père, par passer près de lui les dernières années de sa vie, sous lui la première nuit de son éternité. Son œuvre tient la même place, humaine dans son détail et sa signification, inhumaine dans ses proportions, dans sa voix, dans son