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Leurs grands bœufs ruminaient d’un air indifférent,
Tout à coup un rayon de soleil, éclairant
L’épaisseur du fourré, laissa voir sous les ormes
Les fusils des Prussiens et leurs noirs uniformes.
« À nous ! » dit un berger… Sa voix vibrait encor,
Quand un coup de mousquet l’étendit roide mort.
Ils étaient dix contre un ; d’ailleurs que peuvent faire
De pauvres paysans contre des gens de guerre ?…
On se rendit. Un chef écrivit le détail
Des parts que chacun d’eux avait dans le bétail,
Et leur remit, avec d’amères railleries,
Un bon sur le Trésor, payable aux Tuileries…
Puis en criant hurrah ! les soldats deux à deux
Défilèrent, poussant le troupeau devant eux.
Les bœufs, en mugissant, et les génisses rousses
Tournaient le front d’un air plaintif, et leurs voix douces
Retentissaient au loin. Les paysans navrés
Les regardaient partir, muets, les poings serrés,
Et des larmes de feu brûlaient leur peau tannée…

Amour de la maison où notre race est née,
Haine de l’étranger qui vient prendre au pays