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maigres et songeurs, verriers pauvres comme Job et fiers comme le Cid ; — tous gens hardis, amoureux de liberté et de franches lippées, buvant sec, parlant haut, ayant les jarrets solides, la poigne lourde et le coup d’œil juste. Au milieu des vulgarités des pays à blé, l’Argonne profonde, solitaire et mystérieuse, s’élève comme une verdoyante forteresse où se sont réfugiés les types romanesques et curieux d’un autre âge. L’automne imprègne ses futaies brumeuses d’une tristesse pénétrante ; en hiver, la voix grondante des eaux grossies par la fonte des neiges semble un écho des héroïques combats de 92 dont ses défilés ont été le théâtre ; mais quand vient le printemps, toutes ces lignes sévères s’adoucissent, toute cette rudesse s’amollit ; les hêtres bourgeonnent, les pentes sablonneuses refleurissent, les sources chantent au lieu de gronder, et l’Argonne, sans cesser d’être sauvage, devient plus fraîche et plus hospitalière.

Par une des dernières soirées du mois de mars, et sans doute pour mieux jouir de cette joyeuse transformation de la forêt, une jeune femme était venue s’asseoir au bas d’un ravin qui débouche brusquement en face de la petite ville de Saint-Gengoult. Le ravin est connu dans le pays