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mécaniquement les aiguilles. Sa fille aînée, Honorine, élancée et maigre, surveillait devant la cheminée la cuisson d’un opiat pour le teint ; elle devait avoir passé la trentaine ; la flamme du brasier éclairait à demi son visage couperosé et ses yeux noirs encore beaux sous leurs paupières déjà fatiguées. Un garçon de vingt-trois ans, nommé Xavier, était assis à une table ronde devant un dessin qu’il terminait rapidement. Près de lui, dans l’embrasure de la seconde fenêtre, sa sœur cadette, Reine, les coudes sur les genoux et les mains enfoncées dans ses épais cheveux bruns, profitait des dernières heures du jour pour dévorer un roman qui absorbait toute son attention.

L’ombre envahissait de plus en plus la salle, et les meubles qui la garnissaient disparaissaient noyés dans l’obscurité. Parfois seulement le feu se ranimait, un jet de flamme lançait çà et là de légères touches lumineuses, et on distinguait un coin de miroir, un panneau de tapisserie, un portrait enfumé dans son cadre terni, une console ventrue à poignées de cuivre, un râtelier d’armes de chasse… Puis la flamme s’évanouissait et tout se replongeait dans l’ombre, à l’exception des silhouettes immobiles près des fenêtres.