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gens, il ne faut pas nous mesurer avec la même aune que les gens à l’aise… A quinze ans, j’étais orpheline et je gagnais mon pain dans une filature, et si vous saviez ce que c’est que la vie de fabrique pour les filles !… Je m’étonne de n’y être pas devenue plus mauvaise… Quand j’ai connu Finoël, j’avais déjà vingt-sept ans, et lui n’en avait que vingt-trois… J’étais trop vieille pour lui, mais alors je n’y pensais pas, je l’aimais comme une folle… Oh ! les premiers temps de notre mariage ! Nous allions, le dimanche, goûter dans les petits bois du Juré et nous revenions bras dessus bras dessous par la route de Combles et la Ville-Haute… Comme les tilleuls sentaient bon !… Voyez-vous, j’ai eu bien des maux depuis, mais j’oublie tout quand je pense à ces six mois-là. Six mois !… et puis on l’a renvoyé de la fabrique, et le cabaret l’a pris. Alors sont arrivés les mauvais jours, les gros mots, les batteries. Je suis devenue grosse ; notre location finissait à Noël et on menaçait de nous mettre dehors… Un matin il est parti… On dit qu’il est allé en Alsace… Je lui pardonne tout en pensant à nos six mois de bon temps !

Elle ferma les yeux et reposa sa tête sur le traversin. L’expression farouche de sa physionomie