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l’Abbatiale et mes beaux chênes… Dix ans ! à peine dix ans !… La vie est trop courte, on n’a pas le temps de jouir de ce qu’on a amassé !… Mais, vois-tu, je veux passer au moins ces années-là en paix, et pour cela il faut que je me décharge du poids que j’ai sur la poitrine… Il m’étouffe, il me gâte mes jours et mes nuits !

Il s’était mis sur son séant et respirait avec bruit, comme un homme oppressé.

— Tant que j’ai été dans les affaires, continua-t-il, je n’ai pas eu le loisir de penser à cette chose-là. J’allais, je venais, je courais les villages pour acheter de la laine à bon compte, les ballots roulaient dans ma remise, et puis les fabricants arrivaient. On discutait fin contre fin ; moi, je leur donnais du fil à retordre et je faisais de beaux gains. Je spéculais, j’achetais pour rien et je revendais cher… Ah ! c’était le bon temps ! le secret était bien là, au fond de ma mémoire, mais si léger !… Il ne pesait pas plus gros qu’une plume, et c’était à peine si, de fois à autre, je le sentais sur ma conscience… Mais quand je suis venu me reposer ici, croyant y jouir tranquillement de ma fortune, je n’ai plus eu ni paix ni trêve. Toutes les choses d’autrefois se sont réveillées au fond de mon cerveau, et ce qui était léger comme une plume