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jeune fille. La sensation de cet unique et exquis baiser coula goutte à goutte comme un philtre dans les veines des deux adolescents et les laissa un moment étourdis et grisés. Un froissement de branches, produit sans doute par quelque chevreuil qui venait boire à la Fontenelle et qui s’effarait à la vue de ces naïfs amoureux, les réveilla de leur extase. Norine se dressa d’un bond sur ses pieds, et, tout empourprée, à la fois joyeuse et confuse, elle s’enfuit à son tour et disparut derrière les aunelles du ruisseau.

Bigarreau resta seul sur le talus, le cœur palpitant ; il sentait encore sur sa bouche l’impression humide et délicieuse des lèvres de Norine ; il lui semblait que les lisières de la forêt tournaient autour de lui, et que le sol lui-même, se dérobant, glissait insensiblement vers le ruisseau, dont le bouillonnement sonore lui paraissait presque doublé. Peu à peu néanmoins il revint à lui, et se souvenant de la promesse faite à Norine, il voulut profiter de la proximité de la pierre où il avait caché sa veste, pour aller reprendre ce vêtement compromettant et s’en débarrasser à tout jamais. Encore à demi chancelant, il se dirigea vers la berge du ruisseau. Il