Page:Theuriet - Bigarreau, 1886.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cabra, remit sèchement l’odieux Louchard à sa place et reprit ses façons âpres et méprisantes. Ce revirement irrita violemment le vindicatif compagnon et réveilla ses soupçons un moment assoupis. — La jalousie développe chez ceux qu’elle envahit une perspicacité très pénétrante ; elle affine l’esprit et donne aux sens de la vision et de l’ouïe une acuité presque maladive. Le Champenois flaira une odeur d’amour dans le chantier du père Vincart. Il épia les deux adolescents et devina avant eux la nature du sentiment encore inconscient qui les inclinait l’un vers l’autre. À partir de ce moment, ses convoitises déçues, sa vanité blessée engendrèrent de haineuses rancunes dont l’infortuné Bigarreau fut la victime. L’ouvrier sabotier, s’ingéniant à lui rendre la vie dure, ne lui épargna ni les invectives, ni les mauvais traitements.

Bigarreau, habitué depuis longtemps au régime de la prison et aux torgnoles des gardiens, supporta d’abord assez philosophiquement la méchante humeur et les injustes procédés du compagnon. Néanmoins, parfois la moutarde lui montait au nez et il était obligé de ravaler péniblement sa colère, afin d’éviter une rixe qui n’eût