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de fillette en train de devenir une femme. Elles effleuraient de leurs ailes noires les paupières aux longs cils, les bras nus et hâlés, la poitrine blanche et à peine modelée, dont une chemise mal nouée laissait voir la naissance.

Le milieu dans lequel Bigarreau s’était trouvé jusqu’alors n’avait certes pas contribué à lui inculquer des principes de retenue et d’honnêteté. Gâté avant l’âge, jeté de bonne heure dans ce bourbier de la prison où les vices grouillaient comme des sangsues dans un marais, à quinze ans, Bigarreau n’ignorait et ne respectait plus rien. Pourtant la vue de Norine endormie et court vêtue n’éveillait en lui ni sensation malsaine ni brutales convoitises. L’émotion qu’il éprouvait avait quelque chose d’instinctivement respectueux et de doucement étonné : l’admiration d’un sauvage devant une belle chose inconnue. Ce vagabond, qui avait grandi parmi de précoces vauriens cyniquement dépravés, avait tout d’un coup la révélation de la grâce féminine et du charme virginal. Et cette perception nouvelle, jointe à un sentiment de reconnaissance et de tendresse, le jetait dans une extase à la fois voluptueuse et chaste. Il contemplait Norine