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pauvre sou, et j’ai quatre-vingt-deux ans… C’est un grand âge, n’est-ce pas donc ?

Sous leurs paupières ridées, les yeux de la vieille solliciteuse sont devenus humides. Le sous-directeur l’a écoutée plus attentivement. Les intonations un peu chantantes et certaines locutions provinciales de la vieille dame résonnent à son oreille comme une musique déjà entendue et jadis familière. Ces façons de parler ont un goût de terroir qu’il croit reconnaître et qui lui cause une sensation singulière. Il sonne, demande le dossier de « la veuve Blouet, » et quand le solennel garçon de bureau pose, d’un air important, la mince chemise jaune sur la table, Hubert Boinville compulse les pièces avec un intérêt visible.

— Vous êtes Lorraine, madame, reprend-il en montrant à la veuve une figure moins fermée, où court un faible sourire. Je m’en étais douté à votre accent.

— Oui, monsieur, je suis de l’Argonne… Comment, vous avez reconnu mon accent ? Je croyais bien l’avoir perdu après avoir si longtemps valté aux quatre coins de la France, comme un camp-volant.