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leurs vives flottant aux piliers des magasins, les miradors entr’ouverts, d’où s’échappaient des éclats de rire et des fredons de guitare, les coups de soleil à travers les toiles tendues d’une maison à l’autre, me produisaient une impression pénible, quelque chose comme l’agacement d’une note discordante au milieu d’un concert délicieusement harmonieux.

Et voyez l’inconséquence de la nature humaine ! malgré mes répugnances et mes dédains, je subissais peu à peu l’influence dissolvante du milieu profane dans lequel je vivais. Tout en se fermant pour ainsi dire aux impressions de l’extérieur, mes sens les recevaient en dépit d’eux-mêmes et s’y accoutumaient. Cette joie de vivre, éparse subtilement dans l’air de Séville ; cette allégresse de la rue, cette fête sensuelle des yeux que donnent partout les fleurs des jardins, les toilettes des femmes, l’élégance des patios entrevus à travers les grilles des maisons, et même les somptuosités des cérémonies religieuses, tout cela me pénétrait peu à peu et me modifiait à mon insu. Par d’insensibles acheminements j’en vins à respirer avec une dangereuse délectation l’odeur des orangers de la place del Triunfo, à