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perdu ? Conte-moi ton aventure, mon fils ; confesse-toi à ton vieux maître…

Ils étaient si émus de se retrouver et leurs pensées à tous deux étaient tellement tournées vers les souvenirs de leur lointain pays natal, qu’ils ne semblaient pas s’apercevoir d’un tiers ; moi, tapi dans mon embrasure, avec le rideau de cretonne me retombant sur le dos et mon livre sur les genoux, je me faisais petit et silencieux pour qu’on m’oubliât, mais je ne perdais pas une seule de leurs paroles. Encore que j’en saisisse parfaitement le sens littéral, je n’étais pas alors assez avancé en âge pour en comprendre toujours l’exacte signification ; mais elles restèrent gravées dans ma mémoire, et maintenant que je suis moins novice, l’entretien des deux réfugiés se reconstitue dans ma tête avec toute sa couleur dramatique et toute l’importance des moindres détails.

Je vois encore, comme si j’y étais, la pièce carrelée, fraîche et ombreuse ; les deux Espagnols ayant entre eux la table de bois noir ; les verres à demi remplis, où un mince filet de soleil mettait en lumière la teinte topaze du vin d’Espagne ; don Palomino, accoudé, appuyant son menton