Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À peine Tsao fut-il rejeté en désordre hors de la ville, que Hia-Hu écrivit à Liéou-Piao, pour l’avertir qu’il eût à lui couper la retraite ; celui-ci allait partir quand la nouvelle arriva que Sun-Tsé (d’après les ordres de Tsao, comme on l’a vu plus haut) occupait déjà l’embouchure de la rivière Hao[1]. Liéou-Piao n’osait se mettre en campagne ; cependant, son conseiller Kouay-Léang l’exhorta à profiter de l’affaiblissement que causait à Tsao une récente défaite, pour tomber sur lui et prévenir les maux que ce puissant ministre leur ferait un jour. « Son projet d’ailleurs n’avait-il pas toujours été de nous intimider par cette diversion, disait Léang ; il est battu lui-même, on peut le vaincre maintenant, lui porter le dernier coup. »

Sur cet avis Liéou-Piao, laissant son lieutenant Kouang-Tchong à l’entrée des défilés pour arrêter Sun-Tsé, se dirigea vers un lieu nommé Ngan-Tsong ; de son côté Tchang-Siéou, instruit de ce mouvement, s’élança avec Hia-Hu et ses propres divisions sur les pas de Tsao, espérant compléter sa victoire.

Tsao-Tsao se retirait lentement ; arrivé au bord de la rivière Yu, il se mit à pousser des sanglots sur son cheval, et comme ses officiers lui demandaient la cause de cette douleur : « Je me souviens que l’an passé, dans ce même lieu, j’ai perdu mon fidèle Tien-Wei[2], répondit-il ; et à cette pensée je n’ai pu retenir mes larmes ! » Tous ses capitaines pleurèrent aussi ; il fit faire halte, sacrifia sur le bord de cette fatale rivière un bœuf[3] et un cheval aux mânes du héros, s’inclina respectueusement à plusieurs reprises, versa des larmes abondantes et tomba évanoui dans l’excès de sa douleur. Ses officiers le relevèrent ; dans tout le camp il n’y avait pas un général, pas un soldat qui ne gémît à son exemple. Le premier sacrifice achevé, il en offrit un second et un

  1. Elle sort de Tao-Lin (la forêt de Pêchers), à l’est des monts Koua-Chan.
  2. Voir plus haut, page 23.
  3. Le chinois ne dit pas immoler un bœuf et un cheval, mais bien égorger un bœuf et tuer un cheval. Pour ce dernier animal il emploie un mot plus noble, le même dont il se servirait à l’égard d’un homme. La langue tartare, moins riche, n’a pas cette distinction.