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Combattre, porter un coup décisif, tel était le plus ardent désir de Tsao ; mais Ly-Fong et les autres chefs se tenant enfermés dans leurs murailles, après un mois de blocus, les troupes impériales n’eurent bientôt plus un grain de blé. Tsao en envoya emprunter à Sun-Tsé cent mille boisseaux, quantité insuffisante pour tant de monde. Ce que Liu-Pou et Hiuen-Té purent en fournir, était bien loin de répondre aux besoins de l’armée. L’intendant des vivres, Wang-Héou, fit aussitôt le relevé des provisions disponibles, et les ayant divisées par ration de chaque jour, il vint annoncer à Tsao qu’il n’y avait pas de quoi subvenir à la nourriture de chaque homme. — « Eh bien, répondit le premier ministre, prenez un boisseau plus petit ; c’est un moyen de se tirer d’affaire dans un cas si pressant. — Mais, si les soldats murmurent ?… — Je sais ce que je ferai ! »

L’intendant obéit ; Tsao de son côté, ayant envoyé des espions dans le camp, sut par eux qu’il n’y avait pas un soldat qui ne se plaignît, et n’accusât le premier ministre de les tromper indignement. Ils éclataient tous en murmures, parce qu’on ne distribuait pas à chacun la ration convenue. Aussitôt Tsao appela en secret l’intendant et lui dit : « Je veux vous emprunter une certaine chose dont j’ai besoin pour calmer l’irritation des troupes ; vous avez une femme, des enfants, je les prends à ma charge. — Seigneur, quelle est cette chose ?….. — Votre tête ! il faut que je la montre à l’armée. »

« Seigneur, quel crime ai-je donc commis ? — Aucun, et je ne vous accuse de rien ; mais si je ne vous sacrifie pas, voila trois cents mille hommes armés tout disposés à la révolte. » L’intendant balbutiait quelques mots ; Tsao le fit prendre, emmener hors de la tente et décapiter. Au-dessous de sa tête exposée à tous les regards, sur la pointe d’un bambou, on lisait cette inscription : « Mis à mort pour avoir employé une fausse mesure ! »

Trompés par ce faux acte de justice, les trois cents mille hommes cessèrent leurs plaintes[1].

  1. À ce propos, l’édition in-18 fait l’observation suivante : « Sun-Tsé a prêté des vivres ; ce n’est pas assez, il faut que l’intendant prête sa tête ! Des vivres, oui, cela se prête, mais une tête !… »