Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchen-Fo, voila un cheval qui doit marcher d’une façon surprenante, mais il portera malheur à son maître ! »

« Je sais déjà a quoi m’en tenir la-dessus[1], » répartit Hiuen-Té ; et il lui raconta ce qui lui était arrivé au passage de la rivière. « Ah ! dit Tchen-Fo, un cheval qui sauve son maître, et un cheval qui porte malheur à son maître, ce n’est pas la même chose !... D’ailleurs quand on possède un animal dont on redoute quelque mauvaise affaire, il y a un moyen de détourner les chances. »

« Et ce moyen, quel est-il ? »

« C’est de le faire monter par un proche parent et d’attendre, pour s’en servir soi-même, qu’il ait tué son homme ! » À ces mots, Hiuen-Té (au lieu de répondre) ordonna à ses gens de servir le bouillon[2]. « Sur la nouvelle que votre seigneurie appelait à son service les gens sages et habiles, reprit Tchen-Fo, je suis accouru, sans calculer la distance, et voilà que je suis éconduit !... »

« A peine arrivé, répliqua Hiuen-Té, vous me donnez des enseignements, des conseils qui blessent l’humanité et les devoirs entre parents ; bien plus, vous venez m’apprendre à sacrifier les autres a mon intérêt personnel !.. Et bien, je vous chasse ! »

Tchen-Fo se mit à rire ; puis il reprit d’un ton plus cérémonieux : « On répète partout que votre seigneurie pousse loin le scrupule sur l’article de l’humanité ; je ne savais s’il fallait ajouter foi à ces propos, et ce que j’ai dit, ç’a été pour m’assurer du fait. »

« Si j’ai dans l’âme quelque sentiment d’humanité, répliqua

  1. Littéralement : il a déjà répondu à cela ; — ce qui n’irait pas bien avec le récit que fait Hiuen-Té du passage de la rivière. Mais on peut tout accorder au moyen de la note suivante que donne l’édition in-18 : « Oui, ce cheval a répondu au pronostic, puisque son premier maitre Tchang-Hou (voir plus haut, page 387) a été tué ; et ensuite, il n’y a plus répondu, le jour qu’il a sauvé la vie à Hiuen-Té. »
  2. Coutume chinoise qui équivaut à servir le dessert et annonce la fin du repas.