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pensée, se hâta de sortir après qu’il eut vidé la coupe, sous un prétexte quelconque... Son ami, qui l’attendait dans le jardin, lui dit à l’oreille : « Les quatre portes de la ville sont gardées, à l’exception d’une seule, celle de l’ouest. »

Hiuen-Té tout hors de lui détache son coursier, ouvre la porte du jardin et sort ; sans regarder s’il est suivi, il galope comme le vent jusqu’à la porte de l’ouest. Interrogé par les gardes[1], il répond que le vin l’accable. Personne ne pouvant l’arrêter, le chef du poste se hâte d’avertir Tsay-Mao qui, à la tête de cinq cents cavaliers, se lance à la poursuite du fugitif.

Cependant, à peine le héros est-il hors des murs, qu’il aperçoit tout près de lui une large rivière qui lui barre le chemin. C’était la rivière Tan-Ky[2], large de dix coudées, aux flots remplis de tourbillons ; il reconnaît, en approchant de ses bords, qu’elle est infranchissable, et veut tourner bride. Mais derrière lui accourent cinq cents cavaliers bien armés ; à leur tête paraît Tsay-Mao ; tous le poursuivent...

« Je suis perdu ! » s’écrie le héros ; revenu sur les bords de la rivière, il jette un regard en arrière... Déjà les cavaliers approchent. Alors il lâche la bride à son cheval qui plonge dans les flots ; à peine l’animal a-t-il fait quelques pas, que les pieds de devant s’enfoncent dans les tourbillons ; Hiuen-Té qui sent ses vêtements pleins d’eau, l’excite du fouet et de la voix : « TyLou, Ty-Lou ! est-ce aujourd’hui que tu porteras malheur à ton maître !... Courage, fais effort !!.. » A ces mots, le coursier se relève du sein des flots, et d’un bond incommensurable[3], il atteint, comme s’il eût des ailes, la rive occidentale.

Il semblait que Hiuen-Té émergeât du milieu des nuages et des brouillards ; après avoir gagné la rive occidentale, il se tourna vers l’autre bord et entendit Tsay-Mao qui, après l’avoir poursuivi jusqu’au fleuve avec ses cinq cents cavaliers, lui criait : « Seigneur, pourquoi donc avez-vous déserté le banquet ? — Aucun

  1. Il s’agit ici du corps de garde placé à toutes les portes des villes.
  2. Elle se jette dans le Hiang Kiang. Le mot employé ici en chinois signifie une rivière torrentielle, encaissée.
  3. Le texte dit qu’il fit un bond de trente pieds !