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ma seconde femme, m’en a donné un autre, Liéou-Tsong ; celui-la possède une rare intelligence ; je voudrais donc, au détriment de l’aîné, choisir le cadet pour héritier de mes états. La crainte d’aller contre les lois établies me retient cependant, mais d’autre part, si j’appelle au trône mon fils aîné, je suis certain de causer un jour de grands désordres dans mes états, parce que les parents de ma seconde femme ont en main l’autorité militaire ; tout cela fait que je ne puis prendre une décision. — Dans tous les temps, reprit Hiuen-Té, l’élévation des cadets au préjudice du fils aîné, a causé de graves désordres ; si l’autorité que possèdent les créatures de votre seconde épouse vous fait ombrage, retirez-leur peu à peu le commandement des troupes, plutôt que de léguer les droits de succession à votre jeune fils, en cédant à une coupable faiblesse. »

Liéou-Piao garda le silence ; mais la mère de ce second fils (Tsay-Fou-Jin), cachée derrière un paravent, avait tout entendu : aussi voua-t-elle une haine implacable à Hiuen-Té. Celui-ci, comprenant le mauvais effet qu’avait produit sa réponse, se leva aussitôt pour passer dans un cabinet voisin ; quelque chose qu’il découvrit sur sa propre personne, lui arracha des soupirs et des larmes qu’il ne put réprimer. Aussi, quand, rappelé dans la salle du festin par son hôte, il y reparut les yeux humides de pleurs, celui-ci lui demanda la cause de son chagrin : « Pendant bien longtemps, répondit-il, je n’ai pas quitté la selle de mon cheval, de telle sorte que la chair de mes cuisses avait disparu. Maintenant que je ne me livre plus au même exercice, cette chair a repoussé ; peu a peu les jours et les mois se succèdent, la vieillesse approche[1] ; je ne puis acquérir ni gloire, ni position élevée, et voila ce qui m’afflige ! »

« J’ai entendu dire que quand mon jeune frère était dans la capitale, Tsao-Tsao l’avait invité à boire du vin chaud[2] et à

  1. « Les larmes de Liéou-Piao provenaient d’une faiblesse de petite fille ; les larmes de Hiuen-Té provenaient d’une énergie de héros. » (Note de l’édition in-18.)
  2. Voir plus haut, page 121, la conversation à laquelle il est fait allusion dans ce passage.