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de s'assurer la possession de tout le territoire de King-Tchéon ; qu'un jour de grandes calamités naîtraient de cet événement ; que cet hôte réfugié près d'eux était un ingrat et un traître, qu'on ne devait point lui confier la défense du pays .. — Aussi, la nuit suivante, celle-ci dit-elle a son mari : « J'ai appris que les gens de ce chef-lieu ont des rapports fréquents et intimes avec Hiuen-Té ; vous ne gagnerez rien à le garder dans votre capitale ; ce que vous avez de mieux à faire, c'est de l'éloigner. — Mais, objecta Liéou-Piao, mon jeune frère Hiuen-Té est un homme vertueux et probe ! — Ah ! répliqua Tsay-Fou-Jin, vous jugez les autres d'après votre propre cœur ? »

Ces insinuations tirent naître de la défiance dans l'esprit de Liéou-Piao Le lendemain étant sorti de la ville pour inspecter ses troupes, il aperçut Hiuen-Té monté sur un magnifique cheval, que bientôt il sut être celui qui avait appartenu à l'un des chefs rebelles. Il se mit à vanter ses qualités avec tant d'enthousiasme, que Hiuen-Té, devinant son désir, lui en fit présent à l'instant même ; et monté à son tour sur ce bel animal, il rentra tout joyeux dans les murs. Kouay-Youé[1] l'ayant rencontre, lui demanda d'où il tenait ce cheval ? — « C'est mon hôte qui me l'a donné, répondit-il. — Écoutez, répliqua le mandarin, mon frère aîné était très habile connaisseur en chevaux, et s'il est mort, il m'a légué un peu de sa science. Cet animal a au bas de l'œil comme un sillon tracé par une larme ; au milieu du front[2] il porte une tache blanche ; c'est ce qu'on appelle un cheval ty-lou[3]; ce genre d'animal porte malheur a son maître ; voyez, le chef des rebelles qui le montait a péri ... Ainsi, seigneur vous ferez bien de ne point vous en servir. »

  1. Voir ce qu’étaient ce personnage et son frère ; vol. I°, l. II, ch. II.
  2. Les Persans et les Musulmans de l’Inde attachent aussi une idée superstitieuse à cette lune sur le front que nous apprécions assez en Europe ; on en trouve des preuves dans les petits poêmes Persans et Hindoustanis les plus répandus.
  3. Ces deux mots ne sont ici que des caractères phonétiques, ils expriment l’idée énoncée plus haut, celle d’un cheval qui porte une touffe de poils blancs sur le milieu du front. Voir le dictionnaire de Khang-Hy au caractère Lou (Bas'. 6578).