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bord du Kiang. « Hélas, s’écria Hiuen-Té avec chagrin, après avoir vidé sa coupe, vous tous, ô mes frères d’armes, vous avez le talent de remplir auprès des Empereurs l’emploi de ministre, et voila que vous vous êtes attachés à moi ! Quel malheur ! Combien le sort de Liéou-Hiuen-Té, si misérable, attire sur vous de calamités !... En ce jour, au-dessus de moi pas un morceau de tuile qui abrite ma tête ; au-dessous, pas un morceau de terre à piquer une alêne !... En vérité, je me reprocherais de vous retenir plus longtemps près de moi ; abandonnez-moi plutôt, et allez chercher un maître glorieux, qui puisse par des présents et des honneurs, récompenser vos mérites et votre illustration ! »

Tous cachaient leurs visages dans leurs mains et pleuraient : « Maître, reprit Yun-Tchang, vous vous trompez en parlant ainsi. J’ai entendu dire que quand l’aïeul des Han, Kao-Tsou, disputait la possession de l’Empire à Hiang-Yu, il fut plus d’une fois vaincu par son rival, jusqu’a ce qu’enfin il l’emportât à la grande journée de Kiéou-Ly-Chan[1] : alors il commença cette dynastie qui dure depuis quatre siècles. Depuis le jour où je me suis joint à vous pour combattre les Bonnets-Jaunes, jusqu’ici nous avons traversé vingt années ou à peu près, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus.Voila ce qui doit affermir notre courage. Faut-il donc, parce que nous sommes aujourd’hui réduits à cette extrémité, désespérer de l’avenir ? Frère, ne vous laissez point aller à un découragement qui attirerait sur vous la risée de l’Empire ! — Et moi, répliqua Hiuen-Té, j’ai entendu dire que quand le maître est riche, le serviteur avance dans sa carrière. Il ne me reste pas grand de terre comme la plante de mon pied ; je crains donc de causer votre ruine ! »

    Présenter la coupe de vin au temps de la victoire, cela se voit volontiers ; mais l’offrir après la défaite, voilà qui est rare ! — Ce qui veut dire que Tsao devait tout à sa puissance, et Hiuen-Té à sa vertu personnelle, ainsi qu’à sa parenté avec l’Empereur.

  1. Voir l’Histoire générale de la Chine, vol. II, page 482. L’édition in-18 dit que Hiuen-Té n’était pas alors plus mal dans ses affaires que Kao-Tsou lui-même, après sa défaite aux bords de la rivière Soui-Choui, où plus de deux cents mille hommes périrent dans les eaux.