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prisonnier. Tout épouvanté, le gardien du cachot donna à boire et à manger à Tien-Fong, qui lui dit : « Je sais que je vais mourir ; je vous en prie, donnez-moi un couteau bien tranchant. » Les geoliers ne purent lui refuser cette demande ; ils étaient si émus que tous ils fondaient en larmes. « La vie d’un héros dépend du ciel et de la terre, dit Tien-Fong ; servir un maître sans le connaître à fond, c’est une imprudence ; prendre la parole pour donner des avis, sans prévoir les haines et les soupçons qu’on fera naître, c’est un manque de sagacité ! Je reçois la mort aujourd’hui !... Y a-t-il là de quoi m’affliger ? » Il se frappa lui-même dans sa prison et y mourut, emportant les regrets de tous ses amis[1].

De retour à Ky-Tchéou, dévoré de chagrin, l’esprit troublé, Youen-Chao ne pouvait plus conduire les affaires de son gouvernement. Sa femme, Liéou-Ssé, l’exhortait à se choisir un successeur, qui pût réunir dans ses mains l’autorité sur les troupes et sur le peuple[2]. Or, Youen-Chao avait trois fils, Youen-Tan (son surnom Hien-Ssé) qui gardait Tsing-Tchéou ; Youen-Hy (son surnom Hien-Hi) qui gardait Yéou-Tchéou, et Youen-Chang (son surnom Hien-Fou), que lui avait donné sa seconde femme Liéou-Ssé. Enfin, un de ses neveux, Kao-Kan, fils de sa sœur aînée, tenait sous sa surveillance le Ping-Tchéou.

Doué de force et de beauté, Youen-Chang était le favori de son père ; Liéou-Ssé, sa mère, ne cessait de vanter devant son époux les talents supérieurs de ce jeune fils qu’il gardait toujours près de lui. Après la déroute de Kouan-Tou, Youen-Tan était retourné dans son canton de Tsing, pour lever des troupes. Youen-Hy et son cousin Kao-Kan étaient absents tous les deux ; Liéou-Ssé engageait donc Youen-Chao à choisir pour successeur ce troisième fils, Chang, et à lui donner le commandement de toute l’armée.

  1. Dans la suite, dit l’édition in-18, on a écrit sur lui les vers que voici :

    « Hier, Tsou-Chéou a péri au milieu de l’armée ;
    » Aujourd’hui Tien-Fong se donne la mort dans sa prison.
    » Au nord du fleuve Ho, le nouvel Empire voit s’écrouler le faite de sa puissance ;
    » Comment Youen-Chao n’aurait-il pas à pleurer la ruine de sa propre famille ? »
  2. C’est-à-dire à nommer l’héritier de ce trône, de ce royaume rétabli à la faveur des guerres civiles, afin que l’autorité princière se conservât entre les mains de ce successeur.