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tous un frère aîné mort dans le combat, un jeune frère perdu, leurs compagnons abandonnés, leurs parents séparés d’eux : tous, ils se frappaient la poitrine et disaient avec des sanglots : « Si on eût écouté les avis de Tien-Fong[1], nous n’aurions point à déplorer ce désastre ! » Et Youen-Chao lui-même s’écriait : « Je n’ai point suivi les conseils de ce mandarin ; mes armées sont détruites, j’ai perdu mes généraux !... Oserais-je reparaître devant lui ? »

Le lendemain, comme il continuait sa route, Fong-Ky s’étant porté avec sa division à sa rencontre, il s’accusa devant ce général de s’être attiré tant de malheurs pour avoir refusé de prêter l’oreille aux observations de Tien-Fong. « Ah ! répondit Fong-Ky, quand ce mandarin, du fond de son cachot, a appris la défaite de votre seigneurie, il a battu des mains. Il a dit en riant : « C’est parce qu’on a rejeté mes conseils ! »

« Le misérable, s’écria Youen-Chao, transporté de colère, il ose rire de moi, et bien, je ferai tomber sa tête. — Il a dit encore a ses geoliers, continua Fong-Ky, si Youen me demande d’autres conseils, je me garderai de les lui donner ! »

Or, voici ce qui s’était passé : Fong-Ky, étant dans la prison, le mandarin chargé de la surveillance des détenus lui avait dit : « Vous voila comblé d’honneurs et d’avancements ; réjouissez-vous ! — Et pourquoi ? — Parce que Youen-Chao revient avec son armée complétement battue, et assurément il songera a vous témoigner la plus grande estime. — Ma mort est certaine, dit Tien-Fong, pour toute réponse. — Mais quand chacun se réjouit pour vous, dit le chef des prisons, vous vous regardez comme mort ! — Le général Youen-Chao, sous une apparence de générosité, cache un cœur envieux, reprit le mandarin ; il ne me tiendra aucun compte de mes avis fidèles et prudents ; victorieux, il m’eût dans sa joie rendu la liberté ; vaincu, il aura honte, et je n’espère plus vivre ! »

Le chef des prisons ne pouvait ajouter foi à cette prévision, mais un officier vint apporter un glaive et demander la tête du

  1. Voir plus haut, page 197.