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trouva sur sa route et il voulut y entrer pour prendre des vivres, ce à quoi s’opposa le gouverneur. Le guerrier, sans plus de façon, arracha au mandarin le sceau de sa dignité, et les autres magistrats ayant fui, il s’installa dans cette place. Quand Sun-Kien, parvenu jusqu’à lui et interrogé sur le but de sa mission, eut raconté comment Hiuen-Té, quittant Youen-Chao, s’était rendu dans le Jou-Nan auprès de Liéou-Py, comment Yun-Tchang, sorti de la capitale et emmenant les deux dames confiées à sa garde, était arrivé devant ces murs en le cherchant lui-même, quand il eut ajouté  : « Général, je vous en supplie, venez recevoir le fugitif !. » Tchang-Fey, au lieu de répondre, se couvrit de sa cuirasse, saisit sa pique et s’élança à cheval, suivi de mille hommes, hors de la porte du nord[1].

Quand il le vit paraître, Yun-Tchang, transporté d’une indicible joie, confia son cimeterre à Tchéou-Tsang et se précipita au galop vers lui ; mais le rude guerrier, roulant des yeux ronds pleins de colère, la barbe hérissée comme le tigre, pousse un cri qui retentit comme la foudre. La lance en arrêt, il attaque Yun-Tchang, et celui-ci tout épouvanté, s’écrie, après avoir évité le coup par un mouvement rapide : « As-tu donc oublié le serment que nous avons fait dans le jardin des Pêchers[2] d’être unis comme des frères ?–Tu as manqué à cette fidélité jurée, répliqua Tchang-Fey ; oses-tu bien paraître devant moi ! »

« Non, non, s’écria le héros ; je n’y ai pas manqué ! — Ne

  1. Quelle étrange chose ! — dit en note l’édition in-18 ; — quatre chefs de partisans, campagnards et officiers, qu’il a rencontrés dans sa fuite, sont venus au-devant de lui, se sont prosternés à ses pieds ; et ce frère bien-aimé ne l’a pas plutôt aperçu, qu’il saisit sa pique. Ah ! le brutal et violent tueur d’hommes ! — Et plus bas, à propos de leur dialogue  : — Autrefois, ils s’appelaient frère ainé et frère cadet, maintenant voici que tout à coup (Tchang-Fey) dit simplement moi et toi, locution fort irrégulière entre frères (véritables ou adoptifs). Tu as manqué à la foi jurée (s’écrie-t il), c’est-à-dire, toi et moi nous faisons deux, nous sommes deux êtres distincts ; et tu ne peux plus me regarder en face, c’est-à-dire, je ne puis plus supporter ton visage.Ses paroles sont écrites avec des caractères où se peignent l’agitation et prononcées avec l’accent de la colère.
  2. Voir vol. I°, page 11.