Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croisées sur la poitrine, et comme le paysan, son hôte, l’engageait à s’asseoir : « Comment me permettrais-je de m’asseoir, répondit-il, en présence des deux femmes de mon frère aîné ; je leur dois trop de respect ! — Mais, observa le campagnard, vous n’êtes pas de la même famille, vous ne portez pas le même nom ! » — La-dessus Yun-Tchang lui expliqua quel lien, quels serments l’unissaient à Hiuen-Té à la vie et à la mort, puis il ajouta : « Mes deux belles-sœurs étant obligées de me suivre au milieu d’une troupe de gens armés, est-ce la le cas de manquer aux plus rigoureuses exigeances des rites ? »

Le vieillard loua hautement des sentiments si pleins de délicatesse ; il recommanda a ses femmes de tenir compagnie aux deux dames dans la grande salle qu’il leur cédait, tandis qu’il s’installait lui-même avec le héros dans une petite chambre. Sur la demande de son hôte, le campagnard se nomma et conta son histoire en peu de mots : « Je m’appelle Hou-Hoa ; sous le règne de l’Empereur Hiuen-Ty, j’occupais une place dans le conseil impérial ; mais j’ai donné ma démission et maintenant mon fils Hou-Pan est l’un des commandants de Jong-Yang, et conseiller du gouverneur Wang-Ky. Sans doute, général, vous passerez par cette ville ; permettez-noi de vous charger d’une lettre pour lui. » Yun-Tchang accueillit cette demande et expliqua comment il avait quitté le premier ministre, ce qui épouvanta beaucoup le vieillard.

Les deux dames ayant passé la nuit dans cette maison, Yun-Tchang ne se coucha pas et garda une lumière allumée dans sa chambre[1]. Le lendemain le vieillard offrit le repas d’adieu aux belles-sœurs du héros qui les fit remonter sur le char, prit congé de son hôte et s’élança à cheval le sabre au poing, revêtu de sa cuirasse. En approchant de Lo-Yang, il eut à traverser le passage

  1. L'écrivain voulait en arriver là et introduire dans son récit cette allusion historique que les lecteurs chinois aiment à rencontrer. Lou-Nan-Tsé ayant été obligé de passer la nuit seul dans une maison avec une dame, resta jusqu'au jour, un livre à la main, une lumière allumée, pour mettre à l'abri de tout soupçon la réputation de cette femme aussi bien que la sienne. Voir le Hao-Kiéou-Tchouen, the fortunate union, vol. I°, chap. VI, page 128 ; traduction de M. Davis.