Troublé par ses paroles, Yun-Tchang fit retirer les gens de sa suite, et demanda au mandarin quelle affaire l’amenait en son hôtel. Celui-ci lui présenta une lettre ; elle était de Hiuen-Té, ainsi qu’il reconnut en l’ouvrant, et contenait ce qui suit :
« Moi, Liéou-Pey, j’ai entendu dire ceci : Les sages de l’antiquité craignaient de ne pouvoir marcher seuls dans la véritable voie ; aussi s’associaient-ils des hommes de bien, à l’effet de se concerter avec eux pour secourir les gens vertueux. L’acquisition d’un ami est une richesse, la perte d’un ami est une calamité. Autrefois, dans le jardin des Pêchers[1], je me suis uni à vous par la promesse d’une amitié plus forte que la vie ; quoique nous ne soyons pas nés au même instant, nous avons juré de mourir à la même heure. Aujourd’hui, au milieu de notre carrière, ce lien serait-il rompu, ces sentiments de fidélité oubliés ?… A n’en pas douter, vous désirez maintenant vous couvrir de gloire, vous environner d’honneurs ; je vous offre ma tête pour vous donner l’occasion de mettre le comble à vos mérites ! »
« Dans une lettre on ne peut tout dire ; résigné à la mort, » j’attends votre réponse ! »
A la lecture de ces lignes, le guerrier éclata en sanglots : « Par-dessus toute chose, s’écria-t-il, je veux retourner près de mon frère aîné, mais je ne sais comment faire ? Est-ce que je désire servir Tsao ?… Est-ce que j’aspire aux honneurs ?… — Hiuen-Té vous attend, seigneur, et ses larmes ne tarissent pas, répondit l’envoyé ; si vos sentiments de fidélité sont inébranlables, qui vous empêche de partir au plus vite ? — L’homme est placé entre le ciel et la terre ; ce qui n’a ni commencement ni fin, ce n’est pas le sage[2] ! Déjà j’ai fait mes conditions la-dessus avec son excellence le premier ministre ; et elles ont été acceptées. Trois fois j’ai rendu des services qui ont acquitté la dette de la reconnaissance. Mais il faut que ma retraite s’opère au grand