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coupez nos têtes, afin de mettre un terme à l’ennui que nous vous causons ! Mais de grâce, ne nous tourmentez pas ainsi… »

Le front dans la poussière, les yeux baignés de larmes, Yun-Tchang répondit : « Oui, mon frère aîné est sain et sauf au nord du fleuve Jaune ! Si je ne vous l’avais pas annoncé, c’est que je craignais d’ébruiter cette nouvelle dans la capitale[1]. Nous avons besoin d’agir doucement et avec prudence, de ne rien hâter. — Frère, reprirent-elles, agissez donc !… » Et il se retira pour songer aux moyens de quitter la capitale ; mais il éprouvait de grandes inquiétudes.

Or Yu-Kin (qui l’avait accompagné dans l’expédition), savait très bien que Hiuen-Té se trouvait au nord du fleuve ; ce qui décida Tsao à envoyer encore Tchang-Liéao près de Yun-Tchang pour deviner ses pensées. Admis aussitôt près du guerrier, que la tristesse accablait, le mandarin lui dit : « Nous savons que dans cette guerre vous avez appris des nouvelles de votre frère adoptif je viens tout exprès pour vous en féliciter. — Tant que je ne vois pas son visage, reprit le héros, quel bonheur y a-t-il pour moi ? »

« Connaissez-vous, reprit Liéao, l’histoire de deux amis nommés Kouan-Tchong et Pao-Cho, que Confucius rapporte dans son Tchun-Tsiéou ? — Oui ; Kouan-Tchong disait : Trois fois j’ai combattu et trois fois j’ai fui, mais Pao-Cho ne m’a pas traité de lâche ; il savait bien que je conservais ma vie à cause de ma vieille mère. Trois fois j’ai été nommé à des emplois et trois fois j’ai perdu ma charge, mais Pao-Cho ne m’a pas cru incapable ; il savait que j’avais rencontré des circonstances défavorables. Je suis pauvre et malheureux, mais je ne rougis point devant Pao-Cho ; car il ne m’accuse pas d’être l’auteur de ma propre infortune ; il sait qu’il y a des temps où l’on réussit, d’autres où la prospérité s’éloigne. Quand nous avons partagé les bénéfices d’un commerce que nous faisions ensemble, je me suis adjugé une forte part, et Pao-Cho ne m’a point regardé comme un homme

  1. Parce qu’il voulait attendre que Sun-Kien revînt lui donner de nouveaux renseignements ; ce que le texte ne fait pas clairement comprendre. (Note de l’édition in-18).