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Et comme Youen-Chao était le plus irrésolu, le plus changeant des hommes, à peine eut-il entendu ces observations, qu’il gourmanda Tsou-Chéou en s’écriant : « Si j’avais suivi vos conseils, j’aurais mis à mort cet allié que je regarde comme un frère ! » Aussitôt il pria Hiuen-Té d’entrer sous sa tente ; la il se concertait avec ses officiers sur les moyens de venger sa défaite et la perte de son général Yen-Léang ; l’un d’eux prit la parole et dit : « Celui que nous pleurons était mon jeune frère par adoption ; je réclame la permission de tirer une éclatante vengeance de ce meurtre commis par les gens du traître Tsao ! » À cette proposition, Hiuen-Té lève les yeux et voit un homme haut de huit pieds, au visage terrible[1] ; il était né de l’autre côté des montagnes et se nommait Wen-Tchéou. Comme il jouissait d’une grande réputation de bravoure au nord du fleuve Ho, Youen-Chao qui le jugeait plus que personne capable de ce grand exploit, accepta sa demande avec joie, et mit sous ses ordres une division de cent mille hommes, en lui recommandant d’aller attaquer les troupes impériales sur la rive opposée du fleuve Jaune.

« Quand on fait la guerre, interrompit Tsou-Chéou, l’essentiel est d’en prévoir les chances ; nos troupes sont maintenant à Hien-Kin, contentons-nous de les diviser en deux corps et de veiller au passage du fleuve Ho[2]. Quel que soit le résultat de l’expédition, nous serons prêts à reculer ou à nous porter en avant. Si au contraire nous jetons inconsidérément tout notre monde sur l’autre rive et que nous éprouvions un échec, l’armée ainsi réunie rencontrera de grandes difficultés à battre en retraite. Vous cherchez à éteindre l’ardeur de mes soldats, s’écria Youen-Chao avec colère ; reculer le moment de porter un grand coup, c’est ajourner encore la réalisation de nos espérances ! Ne savez-vous donc pas que le génie de la guerre est la promptitude[3] ! »

  1. Littéralement : au visage de Hiay-Tchay ; nom d’un animal fabuleux dont les officiers militaires portent le dessin tracé sur leur poitrine, et les bourreaux sur leur bonnet.
  2. Littéralement : à kouan-tou ; ce qui signifie passage public.
  3. S’il était si bien convaincu de cette vérité, pourquoi donc dans les deux occasions précédentes a-t-il montré si peu de promptitude à se mettre en campagne ! ( Note de l’édition in-18.)