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oublier que c’est la le premier devoir, telle est la marque à laquelle on reconnaît ici-bas l’homme loyal. Quand a-t-il dit qu’il me quitterait ? — Après avoir rendu à votre excellence quelque service signalé qui l’acquitte envers elle ! — Très bien ! Voilà ce qu’on appelle avoir[1] du cœur ! » Sun-Yo (le courtisan) conclut de la qu’il ne fallait point donner à Yun-Tchang l’occasion d’acquitter la dette de sa reconnaissance ; tel fut aussi l’avis de Tsao-Tsao.

Revenons à Hiuen-Té ; réfugié auprès de Youen-Chao, il y passait ses jours et ses nuits dans la douleur et la désolation. « Je n’ai plus aucune nouvelle de mes deux frères adoptifs ; mes femmes, je le sais, sont au pouvoir de Tsao ! D’une part je ne puis secourir l’Empereur ; de l’autre je ne puis protéger ma famille ; et ce sont là les deux premiers devoirs ! N’ai-je pas de graves motifs de me désoler ! » Ainsi disait-il à Youen-Chao qui lui demandait la cause de ses tristesses, et celui-ci parlait toujours de lever des troupes, de marcher sur la capitale ; le printemps, déjà venu, lui offrait une circonstance favorable pour entrer en campagne. Il tint même conseil sur la manière de porter un grand coup à Tsao.

« Tsao vient de soumettre le Su-Tchéou, dit Tien-Fong (l’un des conseillers) ; la capitale n’est plus dégarnie de troupes. Tsao excelle dans l’art de la guerre ; il n’y a pas à compter sur une révolution ; tant faible que soit l’ennemi, gardons-nous de le mépriser ; mieux vaut attendre encore. Reposez-vous, seigneur, sur la défense naturelle que vous offrent les montagnes et les rivières ; laissez se repeupler tous vos états ; au dehors, attachez-vous des généraux habiles ; au dedans, faites prospérer l’agriculture ; préparez tout ce qu’il faut pour soutenir une guerre. Plus tard, en temps opportun, mettez en marche des soldats exercés et portez-vous là où l’ennemi se montrera plus faible ; selon qu’il voudra secourir sur un point l’une de ses divisions menacées, attaquez-le sur un autre. De cette façon, vous tiendrez vos adversaires en

  1. En chinois Jin, être humain ; ce que le manchou traduit par sain moutchilengué niyalma, bono corde praeditus homo.