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Yun-Tchang, après cette entrevue, était rentré dans sa demeure ; le lendemain, on lui annonça que dans les appartements intérieurs les deux dames se jetaient à terre de désespoir, en poussant des sanglots, sans qu’on devinât la cause de leur douleur. Pressé de se rendre vers les deux femmes désolées qui l’appellent, il rajuste ses vêtements, et se précipite à genoux devant la porte en demandant ce qui se passe ; elles le prient de se relever.


II.[1]


La cause de cette grande douleur, l’une des deux dames (nommée Kang) l’apprit a Yun-Tchang, et répondant à ses questions, elle dit qu’elle avait vu en rêve son époux Hiuen-Té tomber dans une fosse[2]. Elle en concluait, avec l’autre dame (nommée My), que leur mari était descendu au bord des neuf fontaines ! Il leur fit entendre qu’on ne devait pas accorder une grande confiance à des songes ; cette vision n’était-elle pas produite par les inquiétudes d’un cœur tourmenté ? Il les engagea à se remettre de cette vaine frayeur, et à plusieurs reprises, essaya de les rassurer.

Sur ces entrefaites, Tsao-Tsao l’ayant invité à un repas, il prit congé des deux dames et se rendit au palais. Le ministre remarqua qu’il avait les yeux rouges ; Yun-Tchang lui répondit : « Les deux femmes pensent à leur époux, elles pleurent sans cesse, et moi je ne puis maîtriser mon émotion ! » Tsao sourit, puis chercha a le calmer, à l’exciter à boire ; le héros, après avoir bu quelques coupes de vin, prit à deux mains sa longue barbe (enfoncée sous sa tunique) et dit : « Depuis que je suis au monde, il ne m’a pas été donné de rendre service à la dynastie ; j’ai abandonné comme un ingrat mon frère d’adoption !….. Je suis un homme inutile ! »

« Combien de poils avez-vous à votre barbe, demanda Tsao ? – Cent, répondit Yun-Tchang ; à l’automne il m’en tombe

  1. Vol. II, livre V, chap. X, page 113 du texte chinois-mandchou.
  2. En tartare-mandchou eié, ce qui peut signifier trappe, et par suite piége. Descendre au bas des neuf fontaines, veut dire mourir, comme on l’a vu plus haut.