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Avant peu, c’en est fait de moi, continua Youen-Chao ; à quoi bon m’embarrasser des affaires d’autrui ? — Seigneur, seigneur, expliquez-vous !… — J’ai cinq fils ; le plus jeune, celui sur lequel je fondais toutes mes espérances, est attaqué d’une maladie qui l’aura bientôt emporté. Comment me sentirais-je disposé à faire la guerre ? »

« Voici que Tsao s’avance vers les provinces de l’est pour les soumettre, reprit Tien-Fong ; la capitale se trouve sans défense ; profitez de l’occasion, marchez avec des troupes levées au nom de la fidélité due au souverain ; protégez, sauvez à la fois l’Empereur et la nation tout entière ! Quel bonheur ce sera pour la dynastie !… Le proverbe dit : Quand le ciel offre, ne pas recevoir, c’est (refuser la fortune pour) aller au-devant des calamités ! Seigneur, de grâce, songez-bien à ceci ! — Je sais qu’il en est ainsi, répliqua Youen-Chao ; l’occasion qui se présente est belle ; mais dans la disposition d’esprit où je me trouve, cette expédition tournerait à mon désavantage ! »

Tien-Fong demanda d’où provenait cette disposition fâcheuse : « J’ai cinq fils, répondit Youen-Chao, et la santé de celui-là seul, qui est malade, m’occupe exclusivement. S’il venait à mourir en mon absence faute de soins assidus[1], je ne m’en consolerais jamais ! » Et se tournant vers Sun-Kien : « Allez donc près de votre maître ; dites-lui ce que vous avez entendu. Si par malheur il ne réussit pas dans ses affaires, qu’il vienne près de nous chercher un asile ; je lui prêterai mon appui ! » Tien-Fong frappant la terre de son bâton, s’écria : « Le moment est passé à jamais ; c’en est fait ! — Puis il ajouta avec un soupir : — La plus admirable occasion que la fortune pût lui offrir, la maladie d’un faible enfant est cause qu’il la laisse échapper ! Plus d’espoir de réaliser jamais ces grandes espérances de royaume indépendant… Malheur, malheur ! » Et il se retira en frappant du pied sur le sol.

  1. Dans une note, l’éditeur du texte in-18 oppose la faiblesse de Youen Chao, son excessive tendresse pour son plus jeune fils, au stoïcisme que montra Tsao-Tsao à la mort de son fils aîné, tué dans une retraite, après la révolte de Tchang-Siéou ; voir plus haut, page 24.