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deux frères d’armes de Hiuen-Té, conduisaient leurs soldats à pas rapides, sous les ordres de ce dernier. Pendant ce temps (le conseiller intime du premier ministre), Kouo-Kia, qui était allé rassembler des vivres et recueillir de l’argent, ayant appris au retour le départ de Hiuen-Té, accourut auprès de son maître et lui demanda quelle intention il avait eue en chargeant cet homme dangereux d’une pareille mission ? « J’ai voulu qu’il combattit Youen-Chu, répliqua Tsao ! — Seigneur, dit Tching-Yu (l’un des conseillers), quand jadis Hiuen-Té a reçu le gouvernement de l’autre province de Yu-Tchéou, j’ai donné à votre excellence des avis qu’elle n’a pas écoutés ; aujourd’hui vous lui prêtez des troupes.... C’est lancer le dragon dans la mer, le tigre dans la montagne ! Quand vous voudrez vous faire obéir de lui, y parviendrez-vous ? — Ce Liéou-Hiuen-Té est un homme supérieur, ajouta Kouo-Kia ; il a pour lui l’amour des peuples ; ses deux frères adoptifs sont des héros capables de résister à une armée ! Plus j’y songe, plus je vois en Hiuen-Té un personnage qui ne se laissera pas longtemps commander ; il nourrit des projets dont on ne peut sonder la profondeur ! Les anciens disaient : Le moment où l’on lâche son ennemi [1] prépare des regrets pour des siècles ! Vous lui confiez des troupes ; autant vaudrait donner des ailes à un tigre ! Seigneur, réfléchissez-y bien. »

« Je l’ai vu oisif, cultivant son jardin, dit Tsao ; plus tard, j’ai reconnu au coup de tonnerre qui l’a fait trembler, que ce n’était point là un homme capable de former de grandes entreprises ; quelles alarmes me causerait-il ? — Par ces paisibles occupations, reprit Tching-Yu, il endormait les soupçons de votre excellence ! Par cette faiblesse simulée, il masquait le fond de son caractère. Comment votre excellence, dont le regard perçant illumine la terre, a-t-elle pu se laisser éblouir par les ruses de Hiuen-Té ! »

« Ah ! s’écria Tsao en frappant du pied, j’ai été dupe de son astuce ! Qui veut courir sans relâche sur ses traces et me le prendre ! — Moi, répondit un officier qui s’avança fièrement, donnez-

  1. Ou plus exactement : « L’imprudence d’un jour que l’on commet en lâchant son ennemi, fait naître des chagrins de dix mille siècles. »