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soif se calma. La vue de ces prunes si vertes me rappelle forcément cette aventure ; je veux en célébrer le souvenir ; voilà pourquoi j’ai fait préparer du vin chaud et appeler mon jeune frère [1], afin de lui donner une légère collation dans ma petite galerie > et de le traiter comme il convient de recevoir un ami intime ! »

Tout à fait rassuré, Hiuen-Té suivit le ministre au lieu où le repas était servi. Déjà les coupes se trouvaient rangées, des prunes mûres brillaient sur les assiettes, le vin bouillait ; les deux convives assis l’un en face de l’autre, libres de toute contrainte, mangèrent bien et burent mieux encore. Tout à coup cependant, les nuages s’amoncelèrent, la pluie tomba par torrents, et les serviteurs qui se tenaient derrière les conviés montrèrent du doigt le firmament, en assurant qu’ils y voyaient un dragon suspendu entre le ciel et la terre. Tsao se pencha sur la balustrade pour regarder ainsi que son hôte, puis il dit : « Jeune frère, connaissez-vous les transformations du dragon ? — Non, » répliqua Hiuen-Té.

« Les voici : le dragon se grandit et se raccourcit à volonté ; il peut monter dans les airs ou se rendre invisible. Quand il est grand [2], il fait voler au ciel le brouillard et la pluie ; il mêle les eaux du fleuve Kiang et de l’Océan. Quand il est peut, il rentre sa tête, replie ses griffes, et se cache sous un brin d’herbe. Quand il s’élève dans les airs, il vole majestueusement dans tout l’espace ; quand il se dérobe aux regards, il se retire au plus profond des ondes. Le dragon, c’est le principe Yang. Selon les saisons il se transforme ; maintenant nous sommes au cœur du printemps, et c’est l’époque où il se manifeste (où de poisson qu’il était devenu, il reprend sa véritable forme) ; les héros sont pareils à lui ! Quand le dragon s’élève, il monte jusqu’au neuvième ciel ; l’homme supérieur qui arrive à son but, qui trouve

  1. On a va plus haut qu’ils avaient échangé le nom de frère, en signe d’une amitié difficile à établir et surtout à rendre durable.
  2. Voir vol. Ier, page 311, la note qui a rapport au dragon. On devine où Tsao en veut venir avec ce long discours. Sur le principe Yang, ou principe subtil, opposé à Yn, le principe plus grossier ; voir les Mémoires sur les Chinois, vol. II, page 29.