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Trois fois, mais en vain, le jeune prince décocha des flèches contre l’animal ; puis il se tourna vers Tsao-Tsao, pour le prier d’en lancer une à son tour. Le ministre prenant aussitôt l’arc précieux des mains du prince, y appliqua une flèche d’or, le tendit avec force et abattit le cerf. Ce fut une explosion parmi tous les courtisans : « C’est le fils du Ciel qui a lancé le trait ! » disaient-ils unanimement[1], et sautant de joie, ils se prosternèrent et crièrent d’une seule voix : « Vive l’Empereur ! »

Tsao-Tsao accourant au galop, abordait de front Sa Majesté[2] et se trouvait droit devant elle ! A cette vue les mandarins pâlirent ; derrière Hiuen-Té, Yun-Tchang ayant peine à contenir son indignation, fronçait le sourcil, roulait des prunelles ardentes ; le sabre au poing, il fouettait déjà son cheval pour aller décapiter l’arrogant ministre. Hiuen-Té lui fit signe des yeux ; respectant cet ordre tacite d’un frère[3] aîné, le héros doué d’humanité et de modération n’osa exécuter son dessein. Au même instant Tsao regarda en face Hiuen-Té ; celui-ci s’empressa de le saluer avec politesse en disant : « Votre excellence a l’adresse d’un esprit ! Dans tout le siècle, on n’a pas vu un archer qui l’égale ! — C’est grâce au bonheur de Sa Majesté[4] que j’ai frappé juste ! » répondit Tsao en souriant ; puis il se mit à son tour à féliciter le petit prince ; mais au lieu de lui rendre son arc et ses flèches, il continua de les porter à sa ceinture au grand scandale des vieux mandarins, qui tous poussaient de profonds soupirs.

Après la chasse, on fit un repas dans la campagne et le cortège revint à la capitale. « Frère, dit Hiuen-Té à Yun-Tchang, vous avez été bien prompt ce matin à tirer votre sabre ! — Ce brigand de ministre insulte l’Empereur et humilie les grands ; j’ai

  1. C’était bien la flèche d’or qui avait percé le cerf ; les courtisans firent semblant de prendre le change. Ces mots : vive l’Empereur t sont la traduction du cri des Chinois : « (Qu’il vive) dix mille années ! » Au moment où la foule poussait ces acclamations, Tsao fit en sorte de se trouver à peu près dans la même position que l’Empereur ; c’était en quelque sorte essayer du rôle de souverain.
  2. Ce qui est en Chine un crime de lèse-majesté.
  3. Frère par adoption.
  4. Voir la note plus haut, page 91.