Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 1, Duprat, 1845.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

minence du péril, le missionnaire ose affronter la foule irritée. Tandis que le peuple répète en s’agitant qu’il faut conduire l’étranger devant le mandarin, lui il s’élance sur une table au milieu du marché. — Insensés, s’écrie-t-il avec calme, vous me prenez pour un barbare de l’Ouest ! Quelle folie ! Un barbare venu de la mer Occidentale réciterait-il comme moi ces belles pages du San-Koué-Tchy ? — Et aussitôt, sans s’arrêter, sans se trahir par une prononciation vicieuse ou incertaine, il débite tout un chapitre de ce livre cher au peuple. Bientôt la foule apaisée écoute en silence, les visages où ne se peint plus la colère sont tournés avec extase vers le prêtre qui récite des passages choisis de la chronique. Peu à peu des murmures approbateurs se font entendre et le missionnaire, menacé il y a quelques instants des tortures de la mort, a quelque peine à se dérober aux applaudissements de la populace émue. Apaiserait-on mieux les gondoliers de Venise, en les charmant avec les strophes harmonieuses de la Jérusalem délivrée ?

Tout homme instruit, dit le proverbe chinois, doit avoir lu San-Koué-Tchy au moins une fois. Le fait rapporté plus haut prouverait presque que l’adage a force de loi ; au moins démontre-t-il à quel point le goût et la connaissance de la littérature sont répandus en Chine. Mais un ouvrage qui fait les délices du céleste Empire a-t-il quelque chance de succès chez nous ? La grande popularité dont il jouit parmi toutes les classes de la société chinoise, à Kwang-Tong comme à Pé-King, n’indique-t-elle pas un genre de beautés approprié au goût local et peu en harmonie avec celui de l’Europe ? Cette question est difficile à résoudre ; cependant n’a-t-on pas