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créateur ; lancé dans le tourbillon des villes, loin de cette nature puissante au sein de laquelle les sages de l’Inde vivaient dans le recueillement, il se fait une solitude factice dans un jardin habilement dessiné, aux bords d’un bassin creusé par la main des hommes, où se jouent de beaux poissons couleur d’or, où s’épanouissent de jolies fleurs qui se développent par la culture. Il a bien conservé le souvenir de larges tableaux, de grands paysages, admirés dans sa province au sortir de l’enfance, que les études classiques n’ont pas effacés entièrement ; mais, contraint de vivre dans un horizon plus borné, il concentre sur les objets qui l’environnent, toute la vivacité, toute l’acuité de son regard ; ce qu’il compose d’ailleurs, ce qu’il cisèle avec tant d’art, est fait pour être vu de près, et s’adresse à une classe de connaisseurs émérites. Quand la rêverie le prend, quand son esprit se détend et s’assoupit, grâce à la fatigue, grâce aussi à ces petites coupes diaphanes qu’il vide goutte à goutte, tout ce qui l’entoure s’anime subitement, prend un corps, une forme gracieuse, fantastique, comme s’il plaçait un prisme devant ses yeux. Alors les images jaillissent de ce cerveau sur-excité ; le poète se sent épris de cette nature comprimée, souffrante comme lui ; après l’avoir évoqué, il s’échappe avec elle vers un idéal attrayant, dans la région des rêves, des chimères, de la fantaisie.

Certes il y a loin du lettré cultivant la poésie dans son pavillon, au centre de ses parterres, en robe de soie, au milieu des visites qu’il doit accueillir par trois saluts, trois fois répétés, au poète hindou nu sur sa peau d’antilope, établissant, au sein d’une forêt sauvage, les règles